NÉOLITHISATION - France et Méditerranée occidentale

NÉOLITHISATION - France et Méditerranée occidentale
NÉOLITHISATION - France et Méditerranée occidentale

Considérant que les terres du Proche-Orient (Anatolie, Syrie, Liban, Palestine, Mésopotamie, Zagros) et leurs marges immédiates présentent de manière actuellement peu discutable les plus anciennes traces des civilisations agropastorales, on ne peut que constater la position secondaire dans le temps de la néolithisation (la transition de l’économie de chasse à l’économie agricole) des rivages occidentaux de la Méditerranée (Italie, péninsule Ibérique, Maghreb littoral, France). Quelle est donc la part exacte du Proche-Orient dans la constitution des premiers groupes néolithiques de l’Occident méditerranéen?

Remarquons d’emblée les implications de cette question:

– deux volets économiques au moins: l’apparition de l’élevage des animaux et des premières communautés pastorales d’une part; la culture des céréales et la généralisation des phénomènes agricoles de l’autre;

– diverses facettes technologiques: la connaissance de la fabrication de la poterie et la signification culturelle précise à accorder à cet élément; la pratique du polissage de la pierre; la fabrication d’outils nouveaux liés au cycle agricole, etc.;

– des caractères sociaux: la sédentarisation progressive et l’apparition des premières agglomérations villageoises; une inévitable poussée démographique; l’évolution de la société vers de nouvelles structures, etc.;

– des questions de chronologie absolue à même d’éclaircir la position respective des divers groupes humains parvenus à des stades d’évolution équivalents.

Selon quels processus ces divers caractères apparurent-ils à l’Ouest? On peut considérer, par exemple, que les terres orientales ont sécrété des groupes de colons qui ont migré vers l’Occident, apportant des pratiques économiques et des connaissances technologiques ignorées à l’Ouest (diffusionnisme). On peut également admettre qu’il y eut en fait de simples contacts entre quelques migrants orientaux et les populations autochtones: l’acquisition de certaines techniques et certains traits auraient fini par modifier plus ou moins profondément l’identité culturelle de ces dernières (acculturation). Enfin, il est aussi permis d’envisager l’émergence de caractères propres à la néolithisation de certaines régions hors de toute pression externe (par exemple le polygénisme lié à certaines tentatives de domestication des animaux). Ces hypothèses sont sans doute moins contradictoires qu’il n’y paraît, et chacune contient à coup sûr une part de vérité.

Remarquons aussi que pendant longtemps furent considérées comme «néolithiques» les civilisations dans lesquelles apparaissaient pour la première fois la connaissance de la poterie. En Méditerranée occidentale, ce problème se confondait avec la mise en place des groupes utilisant une céramique à décor d’impressions, puisqu’il s’agissait là du repère essentiel marquant les débuts des premières civilisations paysannes. C’était un peu prendre la partie pour le tout. Aujourd’hui, des critères économiques retiennent davantage l’attention: un groupe est considéré comme néolithique ou néolithisé lorsqu’il produit sa propre nourriture, en maîtrisant certaines techniques d’élevage ou d’agriculture. Bien entendu, ces divers éléments (élevage, agriculture, céramique) n’apparaissent pas forcément en même temps.

Le rôle de la navigation

Il va de soi que l’éventuelle transmission de techniques nouvelles à l’Ouest a été largement favorisée par la navigation importante en Méditerranée dès le VIIIe millénaire, antérieurement à la connaissance de la poterie. En Égée, l’obsidienne de Mélos était déjà importée sur le continent bien avant cette époque. Chypre était déjà fréquentée au Xe millénaire. La Corse montre des traces d’une occupation humaine dès l’Épipaléolithique, au VIIe millénaire (abris du Curacchiaghiu et d’Araguina-Sennola). Les Baléares ont parallèlement révélé l’existence d’un peuplement au VIe ou au Ve millénaire.

Tout cela explique le rôle joué, peu de temps après, par cette même navigation dans l’implantation des premières cultures à céramique. Les premiers groupes à poterie imprimée, la plus vieille production céramique de l’Occident méditerranéen, s’égrèneront dès les VIe et Ve millénaires le long des côtes de la Méditerranée occidentale: Dalmatie, Sud-Est italien, Toscane, Ligurie, Provence, Languedoc, Catalogne, pays valencien, Sud-Est ibérique, Portugal, Oranais, nord du Maroc; mais aussi dans les îles: îles de l’Adriatique, de Malte, de Sicile (peuplée, elle, dès le Paléolithique), de Sardaigne, de Corse, d’Elbe, petites îles provençales. L’obsidienne des îles Éoliennes (Lipari) fera même l’objet d’échanges en Sicile, à Malte, mais aussi en divers points de la péninsule italique et même jusqu’en Languedoc; l’obsidienne sarde sera exportée en Corse et sans doute aussi en Ligurie, voire plus loin. C’est pourquoi la néolithisation sera d’abord un phénomène côtier, à partir duquel s’amorcera la colonisation de régions plus continentales.

Problèmes économiques: élevage et agriculture

Les tout débuts de l’économie de production en Méditerranée occidentale restent encore peu clairs en raison de la rareté des observations ponctuelles fiables; d’où l’impossibilité d’une explication générale.

L’élevage

La difficulté à trouver en Europe occidentale un ancêtre sauvage aux caprins domestiques implique une origine proche-orientale de l’élevage du mouton et de la chèvre.

Dès que les cultures à céramique se manifestent, au VIe millénaire en Méditerranée centrale, essentiellement au Ve millénaire dans le sud de la France et la péninsule Ibérique, les ovicapridés y joueront un rôle prédominant, venant toujours très largement en tête des espèces domestiques, bien que, en termes de «poids de viande», les bovidés aient fréquemment occupé la première place.

Le bœuf sauvage est connu en Europe dès les temps paléolithiques, et il n’est pas interdit de penser à plusieurs pôles de domestication. En Méditerranée occidentale, un petit bœuf différent de l’aurochs est connu en milieu néolithique ancien, et les paléontologistes admettent qu’il s’agit bien d’une espèce domestique (Châteauneuf, Bouches-du-Rhône; Jean Cros, Aude; Courthézon, Vaucluse, etc.). Ce petit bœuf est-il l’aboutissement d’une domestication locale ou le fruit d’une introduction externe? L’hypothèse d’une souche proche-orientale, sous-tendue par un gradient chronologique de diffusion Est-Ouest, apparaît désormais comme peu discutable. En Afrique du Nord, un bœuf petit ou moyen, assez trapu, aux cornes et aux membres courts (Bos ibericus ), est connu au moins depuis l’Acheuléen. Il faut admettre qu’il fut domestiqué sur place puisqu’on le retrouve en abondance au Néolithique et qu’il est considéré comme étant à l’origine de la race brune de l’Atlas, aujourd’hui répandue dans tout le Maghreb (G. Camps).

Le problème des débuts de l’élevage des suidés est plus délicat en raison de la difficulté à isoler anatomiquement porcs et sangliers. Plusieurs sites du Néolithique ancien, italiens, sud-français ou ibériques, ont livré des suidés de petite taille qui sont quelquefois interprétés comme étant des porcs. Ainsi à Châteauneuf les porcs n’apparaîtront que dans les horizons évolués du Néolithique ancien. Par contre, à Carigüela de Piñar (Grenade), les suidés domestiques seraient présents dans les phases les plus anciennes du Néolithique.

C’est seulement bien plus tard que le cheval ira rejoindre, en Méditerranée occidentale, la liste des animaux domestiques. Très répandu au Paléolithique, il disparaît progressivement, sauf cas isolés au cours des débuts du post-glaciaire et au Néolithique. Il fait une réapparition souvent timide vers la fin du IIIe millénaire, donc au début de l’âge des métaux (âge du cuivre ou Chalcolithique). Ainsi l’a-t-on signalé dans le Sud-Est ibérique, sur le site de Los Millares (Almería), ou au Portugal sur le camp de Vila Nova de São Pedro, ou encore sur quelques sites du Midi français appartenant en général à la civilisation des vases campaniformes. Des équidés (chevaux ou ânes?) sont par contre très abondants dans le village de Cerro de la Vírgen (Grenade) dans le Sud ibérique, en milieu chalcolithique. Ils ont été consommés au même titre que le reste de la faune. Ce n’est qu’à l’âge du bronze que l’on note un peu partout la progression statistique du cheval. À l’âge du bronze final même, les cachettes métalliques montrent un nombre croissant de pièces de harnachement (mors, phallères, etc.), qui indiquent que le cheval est alors devenu un animal de trait. Dans le midi de la France, son utilisation comme monture ne paraît pas antérieure au premier âge du fer.

L’agriculture

Dès l’Épipaléolithique, la cueillette de graminées ou de légumineuses sauvages paraît s’intensifier en Méditerranée occidentale. En Provence, les couches des VIIIe -VIIe millénaires de la grotte Fontbrégoua (Var) ont livré de nombreuses graines de vesces, quelques gesses-chiches et des jarosses (ou lentilles erviliaires). À la grotte de l’Abeorador (Félines-Minervois, Hérault), on retrouve les mêmes espèces tandis que certaines légumineuses (lentilles) ont déjà la morphologie des graines cultivées. Y eut-il des tentatives locales de mise en culture? Sans doute pas, mais dans certaines circonstances l’homme pouvait déjà se mettre en situation de dépendance vis-à-vis du monde végétal.

Toutefois, l’agriculture céréalière ne paraît pas antérieure au VIe millénaire en Italie péninsulaire et, en gros, au Ve millénaire plus à l’ouest: la Méditerranée occidentale apparaît en ce domaine aussi comme débitrice du Proche-Orient. L’apparition de pratiques agricoles en milieu néolithique ancien est décelée par la conjonction de plusieurs disciplines. L’archéologie met en évidence l’apparition d’instruments spécifiques. Ainsi des boules de pierre perforées, ayant coulissé le long d’un manche, sont interprétées comme des poids de bâtons à fouir, outils liés à une agriculture rudimentaire (grotte Gazel, Aude). Des lames ou des éclats de silex portant un lustré caractéristique étaient manifestement des éléments de faucilles composites. Des meules, des molettes, des broyons ont été utilisés pour écraser le grain. La palynologie met en évidence des traces de défrichements en liaison avec des interventions agricoles. L’anthracologie, étude des charbons de bois préhistoriques, concourt également à cette démonstration: sur le site de Dourgne (Aude), le développement rapide du buis au Ve millénaire est favorisé par l’extension des défrichements et des agressions anthropiques. Enfin, la meilleure preuve d’activités agricoles réside évidemment dans la mise au jour de macrorestes végétaux carbonisés (graines de blé et d’orge): l’engrain (Triticum monococcum ), dans plusieurs sites du Néolithique ancien en Italie du Sud, à Torre Canne, dans les Pouilles ou, en Espagne, à la Coveta de l’Or en pays valencien; l’amidonnier (Triticum dicoccum ), dérivé de l’emmer sauvage, dans les mêmes gisements mais aussi à Torre Sabea et à Palese, dans les Pouilles, sur le village Leopardi, dans les Abruzzes, à la Baume Fontbrégoua (Var) et dans les grottes de Murciélagos de Zuheros, en Andalousie. Des blés tendres de la famille Triticum aestivo-compactum ont été signalés à Fontbrégoua (Var), à Châteauneuf (Bouches-du-Rhône), à la Baume-Bourbon, à Cabrières (Gard), à la Coveta de l’Or (Beniarres, Alicante), à la Cueva de la Sarsa (Bocairente, Valence), à la Cueva de los Murciélagos de Zuheros (Cordoue). Des blés sont aussi signalés sans autre précision dès le Ve millénaire à Malte (Skorba) et, sur les Causses, à Roucadour (Lot). L’orge, également, variété «vêtue» ou «nue», apparaît tôt en Méditerranée occidentale. Elle est signalée dès le Ve millénaire à Malte (Skorba), à Passo di Corvo, dans le Tavoliere, à Palese (Pouilles), à Leopardi (Abruzzes), en milieu néolithique ancien ou moyen. En France, les sites à céramique imprimée de Fontbrégoua et de Châteauneuf ont également livré des orges. Notons aussi la présence de lentilles à Malte dès le Néolithique ancien.

Les civilisations des débuts du Néolithique dans l’Occident méditerranéen

Les premières civilisations accomplies de producteurs sont celles qui correspondent aux groupes à poterie imprimée. La carte de répartition de ceux-ci est suggestive et couvre l’essentiel des zones côtières depuis la Grèce occidentale jusqu’au Portugal. Dans ces régions vivaient, avant la constitution de ces groupes, des cultures épipaléolithiques à économie de chasse. La mise en place des cultures à céramique se fit par adaptation progressive: implantations d’établissements sédentaires dans des milieux sélectionnés, recours au pastoralisme par la conquête de nouveaux territoires. En l’état des données, il paraît peu contestable que la technique de fabrication de la poterie soit en Méditerranée occidentale un phénomène intrusif et rapidement diffusé, comme le montrent les données chronologiques disponibles (datations au carbone 14). Il faut remarquer pourtant que les productions céramiques les plus anciennes présentent souvent, à côté de dénominateurs communs (par exemple le goût pour le décor d’impressions), un «régionalisme» accusé autant au niveau des formes qu’à celui des décors. Ainsi, dans la Méditerranée centrale (secteur de l’Adriatique, Sicile), les récipients sont surtout des jarres en pot de fleurs et des coupes à pied, avec préférence pour les pieds annulaires et les fonds plats; ces derniers atteindront la Corse, la Ligurie, accessoirement le Languedoc. Le décor «adriatique» est à base d’impressions grossières de végétaux, d’impressions au poinçon ou au coquillage, de motifs peignés ou pincés, etc. Les potiers ont eu tendance à décorer la totalité des surfaces externes: il en est fréquemment résulté un décor expansif, à l’effet ornemental souvent grossier. En Méditerranée occidentale proprement dite, c’est-à-dire dans l’aire franco-ibérique (en fait dès la façade occidentale de la péninsule italienne, la Corse, la Sardaigne, mais avec des influences adriatiques), se développe l’aire «cardiale». Les récipients sont dérivés de la sphère: ce sont des bols ou des marmites globuleuses à fond convexe. Certains récipients sont munis d’un col (bouteilles). En Espagne, on peut rencontrer des jarres subcylindriques, à goulot, terminées par un fond pointu, genre amphore. Quant au décor, les bandes ouvragées, traitées le plus souvent par impression de coquillages de cardium ou de pectunculus , alternent avec des bandes réservées. Ce genre de décor dit cardial se développe depuis le Latium, la Corse et la Sardaigne jusqu’au Portugal moyen, avec un certain nombre de faciès locaux. Ces faciès évolueront en gros vers une décoration différente, dans laquelle les thèmes traités à la coquille céderont peu à peu la place à des motifs incisés ou cannelés.

L’inventaire des groupes du Néolithique primitif de la Méditerranée occidentale se présente donc ainsi:

groupe dalmate , dont les sites les plus importants sont l’Abri rouge et le village de Smil face="EU Caron" カic;

groupe de Molfetta , en Italie du Sud-Est, évoluant du faciès de Prato Don Michele au faciès de Guadone (sites de Torre Sabea, Rendina, Trasano);

groupe de Stentinello , en Sicile et à Malte;

groupe toscan (village de Pienza);

groupes sarde et corse (Basi, Su Carroppu di Sirri);

groupe ligure (grotte des Arene Candide);

groupe provençal (sites de Châteauneuf, de Fontbrégoua, de Courthézon);

groupe languedocien (grotte Gazel, abri Jean Cros);

groupe catalan ou montserratien (grottes du massif de Montserrat, grotte del Toll);

groupe levantin (Coveta de l’Or, Cova de la Sarsa);

groupe andalou (site de Carigüela de Piñar);

groupe portugais (faciès cardial évoluant vers le faciès de Furninha);

groupe oranais , dominé par une céramique à décoration de sillons (sites des Noiseux, de la Batterie espagnole, du Cimetière des Escargots);

groupe nord-marocain (grottes d’El Khril, de Gar Cahal, d’Achakar).

La chronologie absolue, essentiellement fondée sur les datations au carbone 14, montre que ce Néolithique ancien a commencé à s’implanter de manière solide dans le secteur adriatique et peut-être en Méditerranée centro-occidentale dès le VIe millénaire; dans le midi de la France et la péninsule Ibérique, l’impact essentiel se place dans les débuts du Ve millénaire, peut-être un peu avant.

L’explication des problèmes liés à la sédentarisation et à la constitution des premières communautés villageoises souffre beaucoup de l’absence de fouilles exhaustives. En Italie du Sud (Tavoliere, Materano, Abruzzes, Sicile), les premiers «villages» apparaissent précocement, sans doute dès le VIe millénaire (phase de Guadone, puis phase de Masseria-La Quercia). Il semble s’agir plutôt de camps, retranchés derrière des fossés circulaires et d’étendue variable, pouvant atteindre 40 hectares (Passo di Corvo). On ignore presque tout des architectures internes de ces localités; mais l’existence de maisons à terminaison en abside est connue sur la façade adriatique (Passo di Corvo, Catignano). En Calabre, on construisait en torchis des cabanes rectangulaires (Curinga). En Toscane, quelques délimitations d’habitations, marquées par des trous de poteau, ont été dégagées sur le site de Pienza. Dans l’aire franco-ibérique, la documentation sur les premiers paysans est faussée dans la mesure où elle provient essentiellement d’abris ou de grottes, c’est-à-dire de sites fréquentés lors d’activités qui n’étaient pas forcément en liaison directe avec l’agriculture. Les villages de plein air ne sont que très partiellement connus (Courthézon, Vaucluse; Guixeres de Vilovi en Penedés). Les premiers grands villages ne paraissent pas ici antérieurs au IVe millénaire, c’est-à-dire au Néolithique moyen (Saint-Michel-du-Touch près de Toulouse, El Garcel, Tres Cabezos, dans la province d’Almería). Ce sera alors l’époque, dans l’aire alpine et ses marges, des premières installations humaines en bordure de lacs.

Les sépultures à relier aux premiers néolithiques sont rares. On ne connaît guère que des tombes isolées, sous abri ou en grotte, avec corps disposés en général en position repliée, dans des fosses. Certaines galeries naturelles ont pu faire fonction de nécropoles.

Ces lacunes dans la recherche empêchent de cerner convenablement les structures sociales des premiers paysans de l’Occident méditerranéen. Dans la zone franco-ibérique, il semble que le schéma des petites communautés de l’époque épipaléolithique n’ait pas été rapidement aboli. De fait, les indices concernant une hiérarchisation de la société sont faibles, en tout cas peu perceptibles à partir de l’approche archéologique. Ils ne s’intensifieront sensiblement que dans le courant de l’âge du bronze.

À partir de la façade provençale et languedocienne, la néolithisation d’essence méditerranéenne va s’étendre peu à peu à la moitié sud de la France. La progression par la vallée du Rhône n’est pas encore jalonnée de façon claire. En revanche, les Causses, l’Aquitaine ou les Pyrénées montrent avant la fin du Ve millénaire l’existence de groupes néolithisés par contact et caractérisés par l’adoption d’une céramique imprimée grossière. Cette action se répercute jusque sur des sites littoraux vendéens (sites à poterie impressionnée de La Tranche-sur-Mer) sans qu’il soit possible de dire si ce Néolithique primitif du littoral atlantique a été transmis par l’axe aquitain ou caussenard ou par des groupes portugais.

La néolithisation du nord de la France et des terres atlantiques

Dans la moitié nord de la France, l’apparition des premières communautés agricoles est généralement considérée comme le résultat d’un processus de colonisation lié à des déplacements de populations originaires de la vallée du Danube (d’où le nom de Néolithique danubien donné à ce complexe culturel). À partir des plus anciennes civilisations rurales constituées dans le sud-est de l’Europe, un grand ensemble s’est parallèlement mis en place de la Hongrie à l’Oder et de l’Ukraine à la Hesbaye, dont l’axe essentiel demeure les vallées du Danube et de ses affluents. Le Rhin sera franchi dès le Ve millénaire par ces colons de la civilisation «rubanée» (ainsi appelée parce que les poteries – bols, marmites, bouteilles – portent fréquemment une décoration incisée ou peignée en spirales, méandres, volutes). L’est de la France (en particulier l’Alsace) et l’axe du Rhin se rattachent nettement à cette tradition. Par contre, la moitié orientale du Bassin parisien s’est déjà sensiblement démarquée de la sphère culturelle danubienne et développe un faciès original. Ces populations sont des communautés de paysans, groupées en petits villages à vastes maisons de bois. Le meilleur exemple est celui fourni par le site des Fontinettes à Cuiry-les-Chaudardes dans la vallée de l’Aisne, où ont été dégagées plusieurs maisons de 10 à 40 mètres de long sur 6 à 8 mètres de large. Bien que la chasse ne soit pas dédaignée, la culture des céréales (blé et orge) constitue désormais l’activité majeure. On pratiquait une agriculture temporaire sur brûlis de forêt. Des faucilles avec éléments de silex servaient aux moissons, des meules, des pilons, des molettes à la mouture. La palynologie montre parallèlement le rôle important de la déforestation (sites d’Armeau et d’Escolives, dans l’Yonne).

En matière d’élevage, la première place revient au bœuf; le porc se situe généralement en deuxième position tandis que, contrairement à ce qui se passe en milieu méditerranéen, les ovicapridés sont les moins nombreux. Le rôle joué par le bœuf et le porc, dans une aire où ils étaient largement implantés au Paléolithique, pose le problème d’une possible domestication autochtone, au moins pour certains d’entre eux, sans nier pour autant le cheminement des techniques de l’élevage par l’axe danubien.

Les cimetières ne traduisent pas de distinction sociale bien accusée. Ils se composent de sépultures individuelles en fosse, le sujet étant inhumé en position contractée. Quelques sépultures féminines au mobilier exceptionnel (Vert-la-Gravelle, Marne; Cysla-Commune, Aisne) laissent penser que certaines femmes pouvaient bénéficier d’un statut social élevé.

Dans la moitié nord de la France, la tradition rubanée se maintiendra un temps avec le groupe de Villeneuve-Saint-Germain qui colonisera toute la partie occidentale du Bassin parisien. À partir de cette époque (vers 漣 4000, non calibré), les influences méditerranéennes iront en s’affermissant. La constitution du groupe de Cerny marquera une rupture sensible par rapport aux cultures antérieures: la place prise désormais par l’élevage, l’exploitation intensive des gîtes à silex, l’apparition de vastes monuments funéraires d’un type totalement inconnu (Passy, Yonne) inaugurent une ère nouvelle. Bientôt des communautés d’origine méditerranéenne (Chasséen) investiront une large partie de la France tempérée. L’apparition de vastes camps ceinturés à fossés interrompus ou le développement du type d’habitat en éperon barré sont liés à une plus forte colonisation des nouvelles terres, jusque-là délaissées par les groupes rubanés.

La néolithisation des rivages atlantiques demeure obscure. Certains groupes de prédateurs, datés du Ve millénaire, ont peut-être connu quelques techniques de domestication (sites «mésolithiques» de Téviec et d’Hoédic, Morbihan). A-t-il existé une phase néolithique ancienne qui viendrait s’intercaler entre ce Mésolithique final et les débuts du mégalithisme? L’hypothèse est probable. Elle repose sur la mise en évidence récente, entre les Pyrénées occidentales et la Loire, d’un Néolithique ancien à poterie imprimée (La Lède du Gurp, Gironde) tandis que des influences de la culture de Cerny précédant la première grande phase dolménique sont signalées en plusieurs points de l’ouest de la France et jusque dans les îles Anglo-Normandes. Plus au nord, une céramique originale, peut-être inspirée de prototypes méditerranéens, est connue en Normandie (La Hoguette, Calvados) et sur le Rhin; une autre variété de poterie, dite du Limbourg, s’épanouit dans le domaine rhénan. Ces productions pourraient être, selon certains auteurs, antérieures à la mise en place de la colonisation rubanée et témoigner de larges influences venues du sud, peut-être par le littoral atlantique ou l’axe Rhône-Rhin, dès les phases anciennes de la culture à céramique cardiale.

L’émergence, dans les régions occidentales, du mégalithisme dès la transition des Ve-IVe millénaires est capitale à plus d’un titre. D’un point de vue purement technique, il s’agit des premières grandes architectures du territoire européen. De vastes cairns de formes diverses et de plusieurs dizaines de mètres de développement abritent des tombes à couloir construites en piliers robustes mais aussi en pierre sèche (ensembles de Barnenez et de Gaignog, dans le Finistère; de Bougon, dans les Deux-Sèvres; de Fontenay-le-Marmion, dans le Calvados). La maîtrise dans ces régions de la voûte en encorbellement, dès 漣 4 000 ans environ, est aussi un fait important, tout comme l’art pariétal, rituel ou décoratif, qui est rattaché à ce courant (dolmen de Gavrinis, Morbihan). Mais c’est sans doute du point de vue social que le mégalithisme traduit le plus de transformations. En effet, la construction de tels monuments suppose une hiérarchisation en cours des communautés rurales qui les édifièrent, avec toutes les pressions et les contraintes que cela implique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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